THATCamp Paris 2015-05-26 09:17:10
Proposition d’atelier pour THATCamp Paris 2015 (9-11 juin) par Stéphane Vial (Université de Nîmes, UMR ACTE 8218) et Yves Rinato (INTACTILE Design, U. de Nîmes)
Présentation
Au sens large, les Digital Humanities ou Humanités Numériques peuvent être définies comme un champ interdisciplinaire qui traite du rôle des technologies informatiques et des cultures numériques dans la production (recherche), la publication (édition, « éditorialisation », etc.) et l’enseignement (formation, médiation, etc.) du savoir et de la culture, touchant des milieux technoétiques aussi divers que la recherche académique, la R&D, le secteur du livre, les plateformes de partage libre, l’éducation et la formation, les bibliothèques, les musées, etc.
En tant que telles, nous (chercheurs en design, designers) reconnaissons dans les Humanités Numériques un territoire de design au sens où, dans leur projet même, ces dernières soulèvent un problème de design des usages — en l’espèce, un problème des usages de la connaissance . Car s’il est désormais convenu de parler de Digital Humanities plutôt que de Humanities Computing (Terras et al., 2013), c’est bien parce que le niveau d’analyse est passé du plan des outils (les techniques) au plan des usages (les pratiques), passage qui constitue très exactement ce en quoi consiste (du Bauhaus au Design Thinking) le propre de la discipline du design par rapport à d’autres disciplines du projet (comme l’ingénierie) ou par rapport à d’autres disciplines créatives (comme l’art). Il est largement admis aujourd’hui que le design est une activité de conception créative orientéeusagers (Norman, 1988) et centréehumain (Krippendorff, 2006).
Aussi, du point de vue des sciences du design, la numérisation massive des données est aux opérations cognitives d’aujourd’hui ce que la mécanisation massive des usines fut aux opérations productives d’autrefois (Vial, 2013), à savoir un processus de néotechnicisation qui nécessite d’être humanisé , c’estàdire d’être centréhumain . À la suite de l’Esthétique Industrielle de Jacques Viénot, qui s’était donnée pour tâche dans les années 1950 d’« humaniser les techniques contemporaines et leurs produits » (D. Huisman, G. Patrix, 1961), aujourd’hui plus que jamais « le design constitue le facteur central d’humanisation innovante des technologies » (Icsid, 2002), pour ne pas dire une arme d’humanisation massive (design de services, design for social innovation , design social).
Par conséquent, l’activité de conception des plateformes digitales, chères aux Humanités Numériques en tant que ces dernières se veulent productrices d’outils et d’instruments, doit être considérée par nature comme relevant d’un travail de design et, par conséquent, en intégrer la culture créative et la philosophie dès le commencement, dans l’esprit d’un « design des programmes » (Masure, 2014) qui doit permettre de développer et d’améliorer le design des plateformes . Car, on le sait, la cause principale de la réussite (et donc de l’adoption par une communauté) d’un service numérique réside dans la haute qualité d’expérience utilisateur ( User eXperience ) qu’il est capable de délivrer aux usagers. Le design d’expérience utilisateur (UX design) est précisément le travail créatif qui consiste à produire cette qualité, dont il a été démontré aujourd’hui (Colin, 2014) que c’est elle qui est à l’origine du succès de toutes les grandes startups digitales telles que Airbnb, Uber, BlaBlaCar, Amazon, Kickstarter, Facebook, etc.
Nous pensons que le fait de créer des instruments numériques pour les chercheurs (bases de données, plateformes, outils en lignes, etc.) ne suffira pas à développer une culture numérique chez les chercheurs, et donc à engendrer tous les bénéfices qu’on est en droit d’en attendre. Car l’acquisition de la littératie numérique ne passe pas seulement par la mise à disposition (c’estàdire par l’ingénierie) d’outils mais par l’acculturation patiente aux savoirfaire et savoirêtre numériques, c’estàdire par l’assimilation profonde de l’ontophanie numérique (Vial, 2013) en tant que celleci repose sur un changement consenti d’appareillage psychocognitif, lequel n’est pas une question d’âge ou de génération mais de « culture existentielle ».
Dès lors, si l’on ne veut pas oublier d’humaniser les humanités numériques ellesmêmes , si l’on veut éviter de les abandonner aux seules logiques techniciennes de l’ingénierie, il convient d’intégrer massivement des designers issus de la culture design dans les projets. Il convient de travailler à atteindre dans les projets la plus haute qualité d’expérience utilisateur, non seulement grâce au design d’information et au design de données (qui sont déjà peu ou prou présents dans les Digital Humanities ), mais plus encore en faisant appel systématiquement à la culture globale du projet en design et aux méthodologies les plus récentes qu’elle a fait émerger, comme le design centré sur l’utilisateur (UCD) , le design d’interaction (IxDA) , le design d’expérience utilisateur (UX design) , le design participatif (codesign) , le Design Thinking , le design de services, le design des politiques publiques (policy design) , le design social (design for social innovation) , etc.
Seul un travail de design au sens fort — i.e. un design fondé en philosophie — peut permettre de réussir la nécessaire et prometteuse acculturation au digital des usagers (designdriven Digital Humanities) . Le design comme méthode pour les Humanités Numériques ?
Étude de cas et « démos »
- Critique comparative de l’Archive ouverte HAL et du réseau social Academia.edu (#troll)
- VéGA , Vocabulaire de l’Égyptien Ancien : vegavocabulaireegyptienancien.fr/
- Dialoguea, outil de de débats : dialoguea.fr
Axes de discussion
- Le design des Humanités numériques : quelle place pour le design dans les Humanités Digitales ?
- Les Humanités Numériques du design : quels outils digitaux pour la recherche en design ? (DAD)
- Constitution d’un groupe de recherches international « Design & Digital Humanities » (2DH)
- Où en est l’idée d’une revue scientifique de langue française en Humanités Numériques?
Références
- Brown T., L’Esprit design : le Design Thinking change l’entreprise et la stratégie (2009), Paris, Pearson, 2010.
- Colin N. et al., La transition numérique au cœur de la stratégie d’entreprise , une étude financée par la Caisse des Dépôts et le Groupe La Poste, TheFamily, novembre 2014.
- Huisman D., Patrix G., L’Esthétique industrielle (1961), Paris, PUF, « Que saisje ? », 1971, 3e éd.
- Krippendorff K., The Semantic Turn: a New Foundation for Design , Boca Raton, Taylor & Francis, 2006.
- Masure A, Le design des programmes : des façons de faire du numérique , Thèse de Doctorat, Université Paris 1, 10 novembre 2014, en ligne : www.softphd.com
- Moggridge B., Designing interactions , Cambridge, MIT Press, 2007.
- Norman D., The Design of Everyday Things (1988), New York, Basic Books, 2013, 3e éd. (révisée).
- Terras M. et al., Defining Digital Humanities: A Reader , Ashgate Publishing, 2013.
- The International Council of Societies of Industrial Design (Icsid) en ligne : icsid.org/
- Vial S., Le design , Paris, PUF, « Que saisje ? », 2015, en ligne: www.cairn.info/ledesign9782130620433.htm
- Vial S., L’être et l’écran : comment le numérique change la perception , Paris, PUF, 2013.
Valorisation
Un compte rendu (ou un format éditorial qui fait fonction de) de cet atelier pourra être publié dans le Supplément du numéro 02 de la revue Sciences du Design (PUF), à paraître à l’automne 2015.
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